La carte de la population en surpoids en Europe comparée à celle de la mortalité du COVID-19
samedi 20 novembre 2021, par
Il est désormais connu que l’obésité (Indice de Masse Corporelle supérieur ou égal à 30 selon l’OMS) rend les personnes encore plus vulnérables au COVID-19 et qu’elles sont donc plus susceptibles de développer des formes graves de cette maladie. C’est mot pour mot ce qu’indique le site de l’Assurance Maladie. D’ailleurs, pouvait-il en être autrement : l’obésité est l’un des principal facteur de risque de mort prématurée et 4.7 millions de personnes en sont mortes dans le monde en 2017. Compte-tenu de ce constat et après presque 2 ans de pandémie de COVID-19 il était tentant d’établir une éventuelle corrélation entre ce facteur d’obésité et le taux de mortalité dû à ce virus en Europe.
A défaut de données récentes sur l’obésité c’est le surpoids qui fait référence
Les statistiques sur l’obésité proposées par EUROSTATS sont malheureusement datées (2014) et on sait par ailleurs que cette donnée évolue assez rapidement en croissant d’année en année. De ce fait, c’est la donnée du surpoids (IMC >= 25) datant de 2019 qui englobe les personnes en situation d’obésité qui va servir de référence. La donnée pour le Royaume-Uni provient elle du NHS pour cause de Brexit. En ce qui concerne le taux de mortalité par million d’habitants elle est arrêtée au 12 novembre 2021 et provient du site Worldometers.
Une synthèse cartographique de la confrontation entre population en surpoids et taux de mortalité du COVID-19
Après ce constat, il semble intéressant de retranscrire ces données au travers de 2 cartes de l’Europe chacune reprenant l’un (surpoids) et l’autre (mortalité COVID) des deux thèmes mis en confrontation pour cette étude. En effet, cette comparaison cartographique de l’importance de ces données pays par pays peut délivrer instantanément une information visuelle simple qui peut par la suite être développée et commentée.
Carte des taux de population en surpoids en Europe en 2019
Carte des taux de mortalité du COVID-19 par million d’habitants en Europe au 12 novembre 2021
Un coefficient de corrélation non significatif
La première observation comparée de ces deux cartes révèle qu’il n’est pas systématique que plus un pays a une population en surpoids plus il aura un taux de mortalité du COVID 19 élevé. D’ailleurs, le coefficient de corrélation calculé à partir des données du tableau ci-dessous est de 0,29. C’est une valeur insuffisante pour mettre en évidence une quelconque corrélation. En effet, on ne peut établir un éventuel lien qu’à partir d’une valeur de 0,5 ou -0,5. La corrélation parfaite étant de 1 ou -1 selon que les 2 séries de données croissent ou décroissent toutes les deux dans le cas d’une corrélation positive ou qu’une série évolue à l’opposé de l’autre dans le cas d’une corrélation négative. On a ajouté dans ce tableau les séries concernant la proportion de population de plus de 65 ans ainsi que celle du taux de vaccination pour des développements ultérieurs.
Tableau des données de surpoids, de proportion des + de 65 ans et des taux de vaccination des populations comparés aux taux de mortalité du COVID-19 par pays en Europe en novembre 2021
Pays | Taux de mortalité du COVID-19 | % IMC ≥ 25 de la pop. Adulte En 2019 | Part des +65 ans | Taux de vaccination |
Belgique | 2255 | 50 | 18,79 | 74,22 |
Bulgarie | 3799 | 55 | 21,02 | 22,23* |
Tchequie | 2924 | 60 | 19,42 | 57,94 |
Danemark | 473 | 50 | 19,81 | 76,25 |
Allemagne | 1165 | 54 | 21,46 | 67,17 |
Estonie | 1252 | 57 | 19,63 | 58,68 |
Irlande | NC | NC | NC | NC |
Grèce | 1605 | 58 | 21,66 | 62,57 |
Espagne | 1874 | 54 | 19,38 | 80,2 |
France | 1804 | 47 | 20,03 | 75,3 |
Croatie | 2401 | 65 | 20,45 | 45,89 |
Italie | 2199 | 46 | 22,75 | 72,76 |
Chypre | 473 | 50 | 13,72 | 64,29 |
Lettonie | 1983 | 58 | 20,04 | 60,6 |
Lituanie | 2351 | 57 | 19,71 | 65,31 |
Luxembourg | 1336 | 48 | 14,18 | 69,51* |
Hongrie | 3310 | 60 | 19,16 | 60,05 |
Malte | 1043 | 65 | 20,35 | NC |
Pays-Bas | 1088 | 50 | 19,2 | 73,2 |
Autriche | 1283 | 52 | 19 | 63,88 |
Pologne | 2079 | 58 | 17,52 | 53,38 |
Portugal | 1795 | 56 | 21,95 | 87,78 |
Roumanie | 2756 | 59 | 18,34 | 38,33* |
Slovénie | 2356 | 58 | 19,61 | 54,59 |
Slovaquie | 2461 | 59 | 15,63 | 42,62 |
Finlande | 219 | 59 | 21,72 | 71,59 |
Suède | 1478 | 51 | 20,1 | 68,72 |
Royaume-Uni | 2087 | 63 | 18,4 | 67,54 |
Norvège | 173 | 51 | 17,05 | 69,16 |
Serbie | 1234 | 54 | 18,35 | 44,42 |
Turquie | 855 | 59 | 8,48 | 58,61 |
Coefficient de corrélation |
NA | 0,29 | 0,24 | -0,51 |
* Les taux de vaccination suivis d’un astérisque correspondent à des taux de vaccination partielle
Les pays de l’Est sont les plus touchés par la pandémie de COVID-19
Quand bien même le coefficient de corrélation n’est pas significatif entre surpoids et taux de mortalité, il apparaît assez nettement dans la première carte que les pays de l’Est sont plus touchés par les problèmes de surpoids par rapport aux pays de l’Europe de l’Ouest, à l’exception notable du Royaume-Uni, et que certains de ces pays (Roumanie, Hongrie, Tchéquie) sont aussi plus touchés par la pandémie de COVID-19 comme le montre la seconde carte. Mais la corrélation n’est pas valable pour tous les pays d’Europe puisque ceux de l’Ouest connaissent des taux de mortalité élevé. C’est le cas de l’Italie qui présentait en 2019 un taux de population en surpoids le faible de l’Europe (46%) et qui atteint un taux de 2199 morts par million d’habitants en novembre 2021. Peut-on aussi parler de corrélation quand on observe que les taux de mortalité des 3 pays de l’Est cités plus haut sont de 25% à 73% plus élevés que celui de l’Italie alors que l’écart de taux de surpoids entre ces pays ne dépassait pas 13% en 2019 ?
Un taux de mortalité élevé dans l’Europe latine pourtant moins marquée par les problèmes d’obésité
Manifestement d’autres facteurs que le surpoids sont à considérer pour expliquer de tels écarts de taux de mortalité. L’un d’entre eux pourrait être la différence de niveau économique entre ces pays qui suppose un dispositif hospitalier plus performant pour les pays plus riche. En effet, les italiens ont un PIB par habitant supérieur de 20 points à la Roumanie et la Hongrie. Par contre, celui-ci est équivalent à celui de la Tchéquie. ce qui vient fortement nuancer cette affirmation. Alors on pense à l’attractivité touristique des pays d’Europe latine (Italie, Espagne, Portugal, France) qui a fait monter le taux de mortalité beaucoup plus rapidement qu’ailleurs en Europe au début de l’épidémie. L’Italie et la France qui avaient des niveaux de population en surpoids inférieurs au reste de l’Europe ont vu leur taux de mortalité grimper en flèche durant l’hiver et le printemps 2020. Pourquoi dans ce cas l’Espagne qui a une attractivité touristique comparable à ces 2 autres pays latins mais un taux d’obésité supérieur de 7 points a t-elle un taux de mortalité comparable à celui de la France ? Est-ce que le climat espagnol a joué un rôle dans la modération de la virulence l’épidémie ? Et que dire de l’Allemagne avec un taux de surpoids de 7 points supérieur à la France mais un taux de mortalité inférieur de 36% ? Est-ce dû au fait que l’Allemagne soit moins attractive touristiquement ? Et si on revient sur le cas italien qui a un taux de mortalité supérieur de 17% par rapport à l’Espagne et la France on pourrait supputer que c’est parce qu’il est fréquent de voir plusieurs générations vivre sous le même toit et que le premier confinement a permis la contamination des personnes âgées plus facilement.
L’Europe du Nord est la moins touchée à une exception : la Suède
En remontant au nord de l’Europe on observe que la Finlande, la Norvège et le Danemark ont des niveaux de mortalité remarquablement bas : plus de 10 fois inférieur à celui de la France pour la Norvège alors que son taux de population en surpoids était légèrement supérieur et beaucoup plus élevé pour la Finlande. Est-ce là encore le climat qui a joué avec des températures très basses en hiver qui confinent de facto les habitants chez eux sans compter que ce froid peut aussi inhiber le virus ? Ou bien l’alimentation spécifique de ces pays ? On sait qu’une alimentation riche en vitamine D présente notamment dans le poisson prévient contre les maladies respiratoires de l’hiver. Ou bien encore leur isolement. Ces pays du Nord sont beaucoup moins visités que le reste des pays européens. Toutefois, la Suède ne fait pas partie de ce trio de pays relativement peu touchés par la pandémie. Est-ce parce que la Suède a une attractivité touristique plus forte : elle faisait jeu égal avec le Portugal en 2014 en nombre de nuitée ? La cause serait plutôt à chercher du côté d’une gouvernance qui a pris le parti de l’immunisation naturelle plutôt que celui du confinement.
Le facteur de l’âge : plus de 80% des personnes mortes du COVID ont plus de 70 ans
Un autre facteur qui pourrait s’imposer au vu du profil type de la personne décédée du COVID 19 est l’âge. En effet, plus de 80% des personnes mortes du COVID ont plus de 70 ans. Mais le coefficient de corrélation entre le taux de mortalité et la proportion des plus de 65 ans dans la population en Europe en 2018 est de 0.24 ce qui n’est pas suffisant pour expliquer que tous les morts du COVID est uniquement dû à leur âge avancé. Toutefois, la Turquie qui possède avec 8.5% la plus faible part de population de plus de 65 ans et très en-dessous du pays suivant, la Slovaquie, avec 15,6% peut, peut-être, expliquer un taux de mortalité parmi les plus bas d’Europe (855 / M. d’hab).
Et encore d’autres facteurs !
On pourrait ajouter d’autres facteurs comme le taux d’urbanisation et la densité de population urbaine qui favorise les risques de contamination à mesure qu’elle est de plus en plus élevée. Ou encore la mobilité géographique des populations qui là encore favorise la contamination quand elle va croissant mais aussi les modes de vie (utilisation ou non des transports en commun, fréquence des réunions de familles, fêtes, rituel du "bonjour", respect des gestes barrières etc...) ou bien encore les variants qui ont affecté différement les populations selon qu’elles avaient été touchées au préalable ou non par le virus souche ou un variant précédent. Et encore le facteur du taux de personnes diabètiques quand bien même il va souvent de pair avec le taux de surpoids, ce dernier favorisant le premier. Et encore la répartition de population entre hommes et femmes etc, etc...
Une corrélation plus effective entre taux de vaccination et taux de mortalité
Le tableau qui indique les différents coefficients de corrélation entre taux de mortalité et surpoids, âge et taux de vaccination révèle que la seule corrélation qui soit acceptable est celle du taux de vaccination. En effet, ce coefficient est de -0,51 ce qui indique que lorsque le taux de vaccination augmente celui de la mortalité diminue. On repense alors au taux de vaccination de l’Italie qui est de 72% contre 57% en Tchéquie. C’est d’évidence ce facteur qui explique les écarts de taux de mortalité entre les pays les plus vaccinés d’Europe entre-eux. Ce constat s’impose pour le Royaume-Uni qui a 67% de sa population complètement vaccinée. Ce dernier pays avec un taux de personne en surpoids le deuxième plus élévé d’Europe (63%) aurait pu présenter un taux de mortalité supérieur aujourd’hui s’il n’avait pas été le premier à engager une politique de vaccination massive.
N’est pas épidémiologue qui veut
En conclusion on se rend compte qu’un seul facteur, le surpoids, est très insuffisant pour expliquer les différences de taux de mortalité entre les pays européens. L’avancée d’un seul argument autre que le taux de vaccination pour expliquer ces différences relève de la réaction et non de la réflexion. On peut continuer à creuser le sujet en s’intéressant aux modèles de propagation de l’épidémie. Ainsi, on sait qu’une partie des facteurs envisageables favorisant ou non la pandémie comme le climat, la mobilité géographique ou le mode de vie affecte un paramètre : le taux d’incidence. Le taux d’incidence correspond au nombre de tests positifs pour 100.000 habitants. Il est calculé de la manière suivante :
(100000 * nombre de cas positif) / Population. On peut voir grâce à des algorithmes de simulation comment ce taux d’incidence agit dans un modèle de propagation de l’épidémie. Ainsi, en faisant varier le curseur de ce taux d’incidence la forme en cloche des courbes évolue plus ou moins abruptement pour les populations saines, affectées et rétablies au fil du temps. L’article précise toutefois que les modèles qui ont le moins de paramètres sont ceux qui s’éloignent le plus de la réalité statistique et à la vue de tous les modèles présentés on saisit toute la compléxité d’envisager la propagation d’une épidémie comme le COVID 19. Aussi, cet article reprend en en-tête un passage du livre d’Umberto Eco "Le nom de la rose" qui est fort approprié pour résumer la période de confusion des esprits liée au COVID 19 que nous venons de traverser et qui n’est peut être pas terminée... :
« Allora c’è un ordine del mondo ! » gridai trionfante.
« Allora c’è un po’ d’ordine in questa mia povera testa » rispose Gugliemo.
Umberto Eco, « Il nome della rosa », Bompiani, 1981« Alors il y a un ordre du monde ! » criai-je triomphant.
« Alors il y a un peu d’ordre dans ma pauvre tête », répondit Guillaume.
Umberto Eco, « Le nom de la rose », trad. Jean-Noël Schifano, Grasset, 1982