Pour les débats sur l’énergie il faudrait inviter des énergétistes et non des économistes
dimanche 25 décembre 2022, par
Quand deux économistes croissantistes parlent d’énergie
Il serait intéressant de savoir combien de personnes écoutent attentivement ce genre de débat radiophonique au delà d’un certain nombre de minutes. En effet, si au début le respect de la parole de l’un et l’autre des intervenants est de mise, très rapidement, ils s’interrompent ou parlent l’un sur l’autre et l’animateur, Nicolas Demorand, en remet une couche en en faisant tout autant. Cet entremêlement de propos verbaux a pour résultat de détourner notre attention et de nous faire changer de station ou de nous hâter à partir au travail. Si l’audibilité de ce débat hebdomadaire est très médiocre le contenu mérite aussi une sérieuse critique.
Sans le savoir Thomas Piketty loue les importations d’une électricité carbonée
Vers 3’40’’, l’auteur du livre "Le capital au 21e siècle", déplore que la France soit obligée d’importer de l’électricité des pays voisins et met en avant la part plus importante que prend l’éolien dans le mix électrique de ces pays. Il en conclut qu’ils sont donc plus adaptés face au risque de pénurie d’électricité. Cependant, il omet de dire que cette électricité est plus fortement carbonée que celle produite en France alors que le site ElectricityMap sur lequel il source son propos le montre clairement. En effet, si ces exportations qui viennent d’Espagne, d’Allemagne ou du Royaume-Uni c’est parce que ces pays n’ont pas renoncé au gaz ou au charbon pour générer de l’électricité. C’est donc parce que ces pays possèdent des centrales électrique à gaz et au charbon qu’ils peuvent en exporter !
Proposons un exercice d’économie à Thomas Piketty
La question suivante va nous interroger sur le coût réel d’un objet, en l’occurrence une voiture, en fonction du service qu’elle rend. D’un côté nous avons une voiture qui coûte un million d’euros et dont le constructeur garantit qu’elle peut parcourir 1 million de kilomètres. De l’autre côté, nous avons une voiture qui coûte 100 000 euros qui, elle, peut parcourir 10 000 kms. Quelle est la voiture la plus chère ? Celle à un million d’euros ou celle à 10 000 euros ? Une réponse simpliste nous dirait la première. Seulement, en divisant le coût de chacune par le nombre de kms qu’elles sont capables d’effectuer on a un coût au km de 1 euro pour la première voiture et de 10 euros pour la seconde. Alors, quelle est la plus chère, hein ? Pourtant, aux alentours de 8’50’’ du débat, Thomas Piketty ne fait pas ce genre de calcul et balance le prix de l’EPR sans le pondérer par sa capacité de production. Il aurait été nécessaire ici de ramener ce prix à sa capacité de production et de le comparer aux prix de l’électricité généré à partir d’un parc éolien ou d’une centrale photovoltaïque à capacité installée comparable.
Puis un exercice de mathématique
Quand on se rappelle de la table de multiplication on sait que si on multiplie n’importe quel nombre par zéro ça fait zéro. Ainsi 10 000 multiplier par zéro égal zéro et si on multiplie 100 000 par zéro cela donne toujours zéro. Cela vaut aussi pour les éoliennes. En effet, qu’il y ait 10 000 éoliennes en France comme c’est à peu près leur nombre aujourd’hui ou qu’il y en ait 10 fois plus, si il n’y a pas de vent pour les faire tourner il n’y aura pas de génération d’électricité. Cependant, Thomas Piketty s’emporte et oubli cette règle élémentaire et déplore que la France n’ait pas plus investi dans l’éolien. En outre, il argumente que le vent souffle partout avec la même force en France que sur les pays qui exportent de l’électricité vers la France. Il a raison sauf que les vents qui soufflent sur l’Europe sont d’une égale faiblesse et ne permettent pas de faire tourner les pales d’éoliennes. La carte des vents en Europe du 8 décembre 2022 visible ci-dessous le confirme. Avait-il pris le temps de la consulter avant ce débat ?
Et enfin un exercice de géographie
Cette affirmation absurde sur le vent est d’ailleurs très révélatrice de la façon de penser de nombreux économistes qui ont tendance à voir l’espace européen comme un espace isotrope. C’est à dire un espace qui proposerait les mêmes caractéristiques de lieu, de climat, et de population quel que soit le pays. Ainsi, Thomas Piketty flatte la politique énergétique de la Suède et de la Norvège en cela qu’ils ont des capacités hydroélectriques plus importantes qu’en France. Et pour cause ! Ces pays disposent d’une population 5 à 6 fois moins importante, concentrée sur une petite partie du territoire et d’un vaste domaine de montagnes quasi inhabitées où le potentiel hydroélectrique est bien supérieur à celui de la France. On appelle ça le déterminisme géographique. C’est une théorie qui répugnent bon nombre d’économistes et aussi une partie des géographes qui la rejettent parce qu’elle suppose que les êtres humains sont prédestinés, notamment économiquement, par leur environnement et donc qu’ils le subissent plutôt qu’ils ne le maîtrisent. Et c’est en partie à cause de ce déterminisme géographique qu’il est difficile de comparer des pays aussi différents que les pays scandinaves et la France.
Il aurait été vain de compter sur Dominique Seux ou Nicolas Demorand pour reprendre les propos de Thomas Piketty au moment où ils ont été prononcés car à chaque fois que sont abordés ces thèmes sur l’énergie dans des débats invitant des économistes ils ressortent ces erreurs d’appréciation ou ces formules simplistes qu’à force d’être répétées dans les médias finissent par être admises même par ceux-là. C’est pour éviter ce genre d’écueils trop souvent entendus qu’il serait préférable d’inviter des énergétistes, néologisme oui, plutôt que des économistes.